Blanche ou L'oubli by Louis Aragon

Blanche ou L'oubli by Louis Aragon

Auteur:Louis Aragon
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 0cf7e52e614ed4fc0fb5d682df0d546ceafd8def
Éditeur: Editions Gallimard
Publié: 2015-03-14T16:00:00+00:00


Exchange me for a goat,

When I shall turn the business of my soul

To such exsuffïcate and blown surmises...

Etc. Bien sûr que tourner la besogne de mon âme à des allégations si vaines et soufflées que de voir dans des pages écrites un objet de jalousie, m'eût alors paru le fait du bouc et non de l'homme, et comme le More de Venise j'aurais nié ce que j'allais devenir. Laissons cela. Cette mise à feu de moi-même.

Mais tout de même qu'avait-elle à me dire, Blanche, qu'elle ne me disait pas ou ne pouvait me dire, qu'elle préférât l'écrire et j'entendais apparemment me l'écrire, encore que, au moins où elle en était, elle eût sans doute voulu me le cacher, peut-être pour arriver avant de le, de me le montrer, à un certain degré de l'expression ? Tout se passait comme si un langage s'inventait, comme si Blanche mettait au point, que sais-je ? une sorte de grammaire nouvelle, d'ordre entre les mots qui leur donnât valeur irréfutable, et parvînt ainsi à faire passer en moi ce qu'apparemment la pauvreté des moyens de communication entre nous jusqu'alors n'avait jamais réussi à transmettre. Quelqu'un qui aurait pénétré ma pensée aurait sans doute ri de moi, de me voir impuissant à m'inventer, m'expliquer le mystère de Blanche n'écrivant qu'ainsi, par rapport à moi, tout naturellement par rapport à moi. Et m'aurait dit que j'étais en cela, en cette façon de croire la vie intérieure de celle que j'appelais avec tant de légèreté ma femme, possessif de niais ! seulement tournée vers moi, nécessairement tournée vers moi, rien d'autre que ce bouc dont parle Othello.

Remarquez, il ne s'agissait que d'une explication fugace, qui ne prend ici d'importance précisément que d'être écrite. L'homme effleuré d'idées court de l'une à l'autre, et croyant se rappeler ce qu'il s'était mis à penser, passe de thème en thème, ne donne pas suite au développement aperçu, perd son chemin dans ses pensées, bifurque, et court comme phalène à la lampe voisine. Après tout, écrire, quoi que ce fût, n'était-ce pas de sa part, à Blanche, avant tout, me fuir ? Tout autant que lire, plus... Encore l'égocentrisme du bouc. Elle n'a pas besoin de me fuir, c'est fuir, sans penser à moi, qu'elle fait. Peu à peu, je comprenais avec horreur qu'elle ne m'écrivait pas. Avait-elle alors besoin contre moi d'un refuge ? Je pensais encore contre moi, comme pour me donner ce contrepoids déchirant d'un déchirement. Ce contre-moi-là, où je trouvais, je voulais trouver compensation, pour que la fuite, le silence l'oubli demeurassent encore les phases d'un dialogue entre nous. Un refuge... Comme les romans, les poèmes. Mais, dans ses cahiers, où donc voyageait Blanche ?

Je les regardais de loin, ces cahiers multicolores, avec la peur un jour de me déshonorer à les ouvrir, sans permission. Je savais bien en être incapable, mais. À la longue, vous savez. Ainsi me disais-je, dans la crainte que j'avais de moi-même, à quoi cela me servirait-il ? Si ce n'est pas écrit pour moi, cela ne m'apprendra rien d'elle.



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